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Vous connaissez sans doute Jon Snow, l’un des principaux protagonistes de la célébrissime saga Game of Thrones. Mais avez-vous déjà entendu parler du véritable John Snow (1813-1858) ? Contrairement à son homonyme, le John Snow dont nous allons parler aujourd’hui jouit d’une notoriété presque nulle auprès du grand public. Il est pourtant une figure tout à fait centrale dans l’histoire de la médecine moderne. En effet, on le considère comme le père de deux disciplines majeures : l’anesthésie et l’épidémiologie.
Courte biographie
John Snow naît dans la ville de York en 1813 dans une famille pauvre. À l’âge de 14 ans, il devient l’apprenti d’un chirurgien-apothicaire dans la ville de Newcastle. Conformément à son statut d’apprenti, Snow ne peut ni boire d’alcool, ni parier de l’argent, ni se marier. Il se convertit ainsi rapidement à l’abstinence alcoolique ainsi qu’au végétarisme. En 1831, la première épidémie de choléra asiatique éclate dans la ville de Newcastle, et fait des ravages parmi la population. En tant qu’apprenti, Snow est amené à traiter de nombreux cholériques.
Une fois sa formation d’apprenti terminée, il se rend à Londres pour terminer ses études et obtenir le titre de médecin. Il se spécialise dans le domaine des voies respiratoires, et développe un intérêt prononcé pour l’emploi des gaz anesthésiants.
Dans son laboratoire personnel, John Snow fait des expériences avec l’éther, la nouvelle mode médicale de l’époque. Il crée un inhalateur d’éther permettant de contrôler les doses dispensées aux patients grâce à un variateur. À l’époque, d’autres médecins travaillent sur les propriétés anesthésiantes de l’éther, comme le docteur Morton aux États-Unis, qui souhaitait breveter ses inventions, sans succès. À l’inverse, John Snow publie tous ses travaux ainsi que les plans de ses inventions dans des revues de renom, de sorte à les rendre accessibles au plus grand nombre. En quelques années seulement, il est devenu l’anesthésiste le plus réputé et le plus en vue des îles britanniques.
John Snow, anesthésiste de la reine
Après ses expériences sur l’éther, John Snow se penche sur les propriétés du chloroforme. Il publie ses travaux sur la question et met au point des vaporisateurs permettant de contrôler la dose administrée au patient, les doses trop élevées étant mortelles. Sa notoriété séduit les médecins de la cour et lui vaut de devenir l’anesthésiste de la Reine Victoria. Cette dernière lui demande en effet de réaliser une anesthésie au chloroforme pour la naissance de son huitième enfant, le prince Léopold.
En faisant cette requête, la reine et ses médecins vont à rebours d’une norme établie dans le champ médical et dans la société. En effet, à l’époque, l’utilisation de toute forme d’antalgiques était considérée comme immorale en obstétrique, puisque la Bible affirmait que le lot des femmes était d’enfanter dans la douleur. L’opération fut un tel succès que la reine fit de nouveau appel à Snow pour la naissance de la princesse Béatrice trois ans plus tard. La reine, ses médecins attitrés et John Snow ont ainsi contribué à faire tomber les barrières théoriques et pratiques sur l’anesthésie obstétrique.
L’élite londonienne s’intéresse rapidement à cette technique et la réclame, contraignant les chefs d’opinion médicaux et religieux à moderniser leurs pratiques. Il faut cependant souligner qu’à l’époque, la très grande majorité des femmes n’avaient pas les moyens de s’offrir les services d’un médecin pour leur accouchement, encore moins les traitements de pointe comme l’anesthésie.
Travaux sur le choléra
Outre ses travaux sur l’anesthésie, John Snow est aussi considéré comme le père de l’épidémiologie moderne. Pour rappel, l’épidémiologie n’est pas une « science des épidémies » comme on le pense souvent, mais une science qui étudie l’ensemble de facteurs qui affectent la santé globale des populations. Ses travaux sur la transmission du choléra marquent la fondation de l’épidémiologie moderne et furent une révolution pour la médecine de l’époque.
En effet, au début du XIXe siècle, le savoir médical est dominé par la théorie des miasmes. Cette théorie propose que les maladies mortelles telles que le choléra ou la peste noire sont transmises par un mauvais air. Les médecins de l’époque pensent que les particules présentes dans l’air sont le principal vecteur de transmissions de maladies infectieuses. On pensait par exemple que l’odeur putride des abattoirs contaminait l’air et était à l’origine des épidémies de choléra.
John Snow n’est pas convaincu de cette théorie. Il explique que si le choléra était bel et bien transmis par voie aérienne, alors les travailleurs des abattoirs seraient les premiers touchés par les épidémies, or il n’en était rien. Il pense au contraire que les maladies sont transmises par l’ingestion d’une forme de poison, et non par voie aérienne. Cette hypothèse s’appuie sur des observations cliniques lors d’autopsies : Snow constate que le choléra s’attaque aux intestins, et non aux poumons, invalidant ainsi la théorie de la transmission aérienne. Il soupçonne également que l’eau joue un rôle central dans cette transmission.
Pour appuyer sa thèse, Snow réalise une première enquête permettant de comparer le taux de mortalité lié au choléra dans 32 quartiers londoniens. Il constate que dans les foyers s’approvisionnant en eau en amont de la Tamise, les cas de choléra sont peu nombreux. À l’inverse, ceux qui s’approvisionnent en aval de la Tamise sont contaminés, car l’eau qu’ils consomment est polluée par les déchets humains. La théorie de Snow est mal reçue, car elle est considérée comme répugnante. Concrètement, beaucoup refusent de croire que l’absorption de matières fécales présentes dans l’eau est un vecteur du choléra, et se cramponnent à la théorie des miasmes.
Lorsqu’une nouvelle épidémie particulièrement meurtrière éclate dans le quartier londonien de Soho en 1853, Snow bondit de nouveau sur l’occasion, bien décidé à mettre ses théories à l’épreuve. Il a l’idée révolutionnaire de réaliser une carte statistique répertoriant les lieux de résidence et de travail des cholériques. Sur le plan, il indique méthodiquement le lieu de décès des 578 victimes. Une fois la carte réalisée, Snow s’aperçoit que plus les foyers sont proches d’une pompe à eau publique, plus le nombre de décès augmente. Snow venait ainsi d’identifier la source de la contamination, mais aussi de réaliser la première étude d’épidémiologie de terrain de l’histoire. John Snow demanda que la pompe à eau soit condamnée, et l’épidémie s’est progressivement éteinte.
Postérité
Les enquêtes de terrain de John Snow ont accéléré le passage de la théorie des miasmes à la théorie microbienne, que nous employons aujourd’hui. Bien que l’épidémiologie soit méconnue du grand public, elle est au cœur de toutes les décisions de santé publique. La cartographie statistique mise au point par John Snow continue d’être utilisée de nos jours, pour identifier l’épicentre d’épidémies d’Ebola en Afrique de l’Ouest ou de choléra en Haïti.
Au mois de juillet 2018, la John Snow Society a dévoilé le nouveau mémorial John Snow : une réplique de la fameuse pompe à eau qui couta la vie à quelque 600 personnes en 1853. Vous pourrez la voir sur Broadwick Street, dans le quartier de Soho à Londres, avant de vous rendre au pub dédié à John Snow, à quelques pas de là.
Auteur: Elisabeth Fauquert, Professeur à l’université Paris I Panthéon Sorbonne