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Si je vous dis pionnière, première femme de lettres de langue française et Moyen-Âge, que me dites-vous ? Cette femme énigmatique dont je viens d’esquisser le portrait, c’est Christine de Pizan. Vous n’avez jamais entendu parler d’elle ? Voilà qui est peu surprenant car ses écrits sont encore peu connus du grand public. Cependant, c’est un tort, car son œuvre mérite largement d’être portée à la connaissance de tous : d’abord parce qu’elle est le produit d’un parcours hors du commun pour une femme de cette époque, ensuite parce que la trajectoire littéraire de Christine de Pizan est l’une des plus inédites de l’histoire des lettres françaises et enfin parce que son œuvre marque un tournant majeur dans l’histoire de la pensée égalitariste et féministe.
Biographie jusqu’au veuvage
Mais avant de détailler plus avant ces questions, commençons par le commencement.
Christine de Pizan est née à Venise en 1364 où elle passe les premières années de sa vie. Son père, Thomas de Pizan, est un astrologue judiciaire de renom, dont les talents et les prédictions sont très convoitées. Pour rappel, les astrologues judiciaires étaient les bras droits du pouvoir exécutif au Moyen-Âge : ils prédisaient l’issue des guerres, celle des missions diplomatiques ou encore le déclenchement de catastrophes naturelles. En 1368, Thomas de Pizan est appelé en France pour entrer au service du roi Charles V. Toute la famille de Pizan (le père, la mère et les trois enfants, deux fils et Christine) déménage donc à Paris. Comme son père est un proche du roi, Christine fait partie de la cour et reçoit l’éducation donnée aux jeunes filles de la noblesse française (musique, poésie etc…). Cependant, son père veille également à lui donner accès à d’autres disciplines traditionnellement réservées aux hommes (comme la philosophie, les traités politiques et l’histoire). En plus d’avoir accès à la meilleure éducation de France, Christine se voit ouvrir les portes de l’immense bibliothèque royale, laquelle abrite quelques 1200 volumes assemblés par le roi tout au long de sa vie. En effet, Charles V — que l’on surnommait Charles le Sage — était un homme érudit, passionné de savoir politique et de lectures. Sa bibliothèque royale deviendra plus tard la Bibliothèque Nationale de France (BNF).
En 1380, à l’âge de 15 ans, Christine se marie avec Étienne Castel, de neuf ans son aîné. Castel est secrétaire royal, soit l’un des postes politiques les plus prestigieux à l’époque. C’est aussi un homme lettré issu de la noblesse picarde. À son contact, Christine prend plus que jamais la mesure de l’importance politique de l’écriture. Le couple est uni et heureux, trois enfants naissent de cette union.
Cependant, les difficultés s’accumulent après la mort du roi Charles V, en 1380 : la famille de Pizan est progressivement éloignée des cercles de pouvoir et de la Cour. Lorsque Thomas de Pizan, le père de Christine meurt, le patriarche laisse à peine de quoi survivre à sa famille. Le mari de Christine prend alors la tête de la famille et tente de subvenir à ses besoins. Le répit est de courte durée puisque Castel meurt prématurément, touché par une épidémie qui éclate dans la ville de Beauvais, où il est en déplacement en 1387. Lorsque son mari meurt, Christine de Pizan a trois enfants, sa mère et sa nièce à charge.
Le veuvage : un terreau littéraire
Au XIVe siècle, seules deux voies sont envisageables pour une veuve : le remariage, de préférence rapide, ou le couvent. Christine de Pizan ne choisit aucune de ces deux voies. Pour subvenir à ses besoins, elle s’improvise femme de lettres, une trajectoire bien en dehors des ornières traditionnelles, du respect de la bienséance et du décorum qui sied à tous, en particulier aux femmes de son rang à cette époque. Tout au long des 14 années qui suivent la mort de son mari, Christine fait face à de nombreuses difficultés : la tristesse du deuil, les soucis financiers, la multiplication des procès. Pour faire face à ces épreuves, Christine trouve refuge dans la lecture : elle cultive les contacts à la cour et se forge un solide bagage littéraire, philosophique et culturel pour développer sa pensée critique et ses savoirs.
Écrits et œuvre
Christine de Pizan est connue pour être la première femme à avoir vécu de sa plume en France et en Europe, fait extraordinaire pour une femme à cette époque. De Pizan commence sa carrière littéraire par la poésie et excelle dans l’art des ballades lyrique et dans celui de la littérature courtoise, dont les nobles de la cour sont particulièrement friands.
Elle gagne aussi en notoriété en tant qu’épistolière, où elle se prononce sur la société, sur les aléas de la guerre de 100 ans ainsi que sur les préjugés que la grande majorité des auteurs célèbres véhiculent sur les femmes. Son œuvre est vaste, aussi nous ne nous pencherons que sur deux épisodes phares de sa carrière littéraire : nous parlerons d’abord de son positionnement dans la querelle sur le Roman de la Rose, pour ensuite discuter du contenu et de la portée de son traité politique, La Cité des Dames.
La querelle du roman de la rose
Le Roman de la Rose, texte écrit à deux mains par Guillaume de Lorris et Jean de Meung au 13e siècle, est de loin le texte le plus célèbre de l’époque médiévale. Dans cette œuvre, la rose est une représentation allégorique de la femme aimée, que le courtisan fou d’amour cherche à séduire par tous les moyens à sa disposition, louables et moins louables.
La querelle du Roman de la Rose, première querelle littéraire de l’histoire française, débute en 1401, à la suite d’un échange épistolaire houleux entre Christine de Pizan et Jean de Montreuil, un homme de lettres qui avait fait circuler un traité faisant l’éloge du Roman de la Rose dans les milieux littéraires parisiens. Après en avoir pris connaissance, Christine lui écrit une lettre ouverte où elle prend le contrepied de ses arguments, pointe du doigt les passages cyniques et misogynes de la seconde partie du Roman de la Rose, et explique que cette œuvre pourtant si célèbre n’est qu’un amas de grossièretés, que ce texte désacralise l’amour et le mariage, qu’il véhicule une image stéréotypée des femmes, et n’a pour toute autre vertu que d’inciter au mensonge, à la violence et à la tromperie.
La querelle du Roman de la Rose s’est poursuivie pendant plusieurs années, au cours desquelles les « rhodophiles » (c’est-à-dire les défenseurs du Roman de la Rose) se sont opposés aux « rhodophobes » (c’est-à-dire ceux qui dénonçaient ce texte, dont Christine de Pizan et l’un de ses plus francs alliés dans cette querelle, le théologien Jean de Gerson.)
Outre son parti pris dans cette célèbre querelle, où elle a endossé le rôle inédit d’intellectuelle publique, l’œuvre majeure de Christine de Pizan est sans conteste la Cité des Dames, un texte publié en 1405.
La Cité des Dames
La Cité des Dames de Christine de Pizan est la première histoire des femmes jamais écrite. Dans ce traité, que l’on peut qualifier de féministe ou de proto-féministe, elle propose une lecture révisionniste de l’histoire, avec pour principaux objets la déconstruction de la parole misogyne et le combat contre les généralisations.
Plus précisément, de Pizan entend montrer que dans l’histoire, les femmes ont fait preuve de raison, de droiture et de justice à de nombreuses reprises, mais que ces épisodes sont passés sous silence ou tournés en dérision par les auteurs masculins. À ce titre et à bien des égards, la Cité des Dames est une réponse au recueil De mulieribus claris (1374) écrit par l’auteur florentin Boccace, dans lequel celui-ci dresse le portrait de cent femmes qu’il juge « illustres ». Quoiqu’intégralement composé de biographies de femmes, chose totalement novatrice à l’époque, le texte de Boccace ne cesse de dénoncer des défauts qu’il juge typiquement féminins et de réaffirmer la supériorité morale, intellectuelle et physique de l’homme sur la femme.
Dans la Cité des Dames, le propos et les idées de Christine de Pizan prennent la forme d’une allégorie, celle de la construction d’une nouvelle cité, qui se déroule en trois temps : les fondations et les murs ; la construction des bâtiments et enfin les finitions et le peuplement de cette Cité des Dames.
Lors de la première étape, celle de la fondation et de l’érection des murs de la Cité, des blocs de pierre encombrants symbolisant la pensée misogyne sont écartés au profit de nouveaux blocs. Chaque bloc a une correspondance métaphorique : chaque ancien bloc correspond à la pensée d’un auteur misogyne (Aristote, Virgile, Cicéron, Ovide entre autres) ; chaque nouveau bloc utilisé pour construire la cité représente la contribution des femmes illustres de l’Antiquité à la société (comme Bérénice, Artémis ou les Amazones).
Lors de la deuxième étape, plusieurs bâtiments symbolisant les Vertus sont érigés avec l’aide de la Droiture, qui permettent l’avènement d’une cité prospère, placée sous le sceau de la Justice.
Enfin, on procède à la sélection des femmes les plus nobles et les plus vertueuses, celle qui seront dignes de vivre dans la cité et de contribuer à sa prospérité.
Tout au long de ce texte allégorique, de Pizan élabore une critique méthodique de la société de son temps et des présupposés qui règnent dans les milieux savants et lettrés. En s’appuyant sur des histoires individuelles comme la sienne, et en mobilisant un nombre faramineux de références littéraires et politiques, elle montre la force des femmes, veuves ou reines, en souligne la droiture, la vertu voire la force physique. Au détour de la Cité des Dames, de Pizan critique les fondements misogynes de la Genèse biblique, en affirmant qu’il n’y pas lieu d’imputer à Ève l’entière responsabilité de son acte, ni de la rendre responsable du mal qui s’abat sur la terre, car Ève est au mieux la complice d’Adam dans cette affaire. À travers la voix de la narratrice, De Pizan attaque sans ménagement les figures de proue de la pensée antique, comme Aristote. Elle pose aussi des questions très modernes sur l’égalité, questions qui continuent d’animer nos sociétés : les femmes doivent-elles recevoir la même éducation que les hommes ? Pourquoi le viol n’est-il pas plus durement puni par la loi ? Pourquoi questionne-t-on toujours l’intérêt des femmes pour l’étude ? Pourquoi met on en doute la capacité des femmes à gouverner et à contribuer activement à la vie publique de la cité et de la société ? Il est plus que temps de redécouvrir l’œuvre de Christine de Pizan.
Auteur: Elisabeth Fauquert, Professeur à l’université Paris I Panthéon Sorbonne
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