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La pierre de Rosette est cette célèbre stèle en granit noir qui permit au français Jean-François Champollion de déchiffrer les hiéroglyphes en 1822. Elle est l’un des artefacts les plus emblématiques de la civilisation égyptienne et l’un des plus grands trésors archéologiques de l’humanité. Vous l’avez peut-être découverte en feuilletant un livre d’histoire, en regardant un documentaire sur l’Égypte antique ou en déambulant au British Museum de Londres, où la pierre est exposée.
Mais connaissez-vous les liens qui existent entre cette pierre et les campagnes napoléoniennes ? Le contenu du texte inscrit sur la pierre ? Enfin, savez-vous pourquoi la pierre, objet culturel égyptien, découvert par les français, se trouve au British Museum ?
Je vous propose d’étudier plus avant cet objet extraordinaire, dont l’histoire et la portée sont parfois méconnus.
I) Le contexte historique
Pour comprendre les enjeux de la découverte de la pierre de Rosette, il faut la replacer dans son contexte historique : celui des rivalités politiques de la fin du XVIIIe siècle.
Après la Révolution Française, les guerres révolutionnaires et la conquête de l’Italie, qui s’achève par la victoire de Bonaparte à Campo-Formio (1797), celui-ci se montre plus déterminé que jamais à faire ployer les Anglais, seuls véritables remparts à ses ambitions politiques et expansionnistes. Pour ce faire, Bonaparte fait cap sur l’Égypte avec un corps expéditionnaire de 38 000 hommes, soldats et savants, dans l’espoir de barrer la route des Indes, d’affaiblir les lignes de commerce britanniques et de contrôler ce carrefour géopolitique clef liant l’Europe, l’Afrique et l’Asie.
Ainsi, en 1798, les Français débarquent à Alexandrie et s’emparent de la ville. Rappelons qu’à cette époque, l’Égypte est sous domination ottomane, plus précisément sous la tutelle des Mamelouks, une milice militaire qui détient les rênes du pouvoir. La cavalerie Mamelouke est écrasée par l’armée française à la bataille des Pyramides (1798), après quoi Bonaparte s’installe au Caire et noue rapidement une alliance avec les autorités mameloukes et ottomanes. Il fonde l’Institut d’Égypte (futur Institut français du Caire) une académie savante dédiée aux recherches archéologiques et scientifiques dans le pays. Dans cette tâche, il est assisté par des savants de renom comme Berthollet, Geoffroy Saint Hilaire, Denon ou encore Monge.
Cependant, la domination militaire française n’est que de courte durée : quelques semaines après que Bonaparte a pris ses quartiers au Caire, la flotte anglaise de l’amiral Nelson attaque et décime les navires français en rade d’Aboukir. Bonaparte riposte, marche sur l’Égypte et envahit la Syrie. Pour le sultan ottoman Sélim III, la ligne rouge est franchie, aussi met-il un terme à l’alliance avec les Français. Dans ces circonstances, Bonaparte, qui comprend qu’il lui vaut mieux sortir du guêpier égyptien, passe la main au général Kléber, et retourne en France où, fin 1799, il organisera le célèbre coup d’état du 18 brumaire et se proclamera empereur des français. En somme, les tensions politiques et militaires sont considérables au moment où la pierre de Rosette est découverte au mois de juillet 1799.
II) La découverte de la pierre
La pierre est découverte par les soldats du lieutenant Bouchard, ingénieur de l’armée napoléonienne, lors de la construction de nouvelles fortifications à el-Rashid, petite ville située sur le delta du Nil. Le nom « Rashid » évoluera progressivement pour donner « Rosette » .
Cette stèle du IIe siècle avant notre ère est endommagée. Le texte gravé dans la pierre est tronqué, mais il présente l’avantage crucial d’être traduit en trois langues. On trouve ainsi 14 lignes de hiéroglyphique classique ; 32 lignes de démotique — c’est-à-dire la forme cursive et simplifiée des hiéroglyphes ; et enfin 54 lignes de grec ancien.
III) Pourquoi trouve-t-on trois langues sur la pierre de Rosette ?
Pour répondre, il faut rappeler que l’Égypte a été conquise par Alexandre le Grand en 331 avant notre ère (la ville d’Alexandrie en Égypte porte d’ailleurs son nom). Pour veiller à la pérennité de son empire, Alexandre le Grand nomme ses généraux à la tête de chaque nouvel espace conquis. En Égypte, c’est le général macédonien Ptolémée qui prend le pouvoir, et fonde la dynastie dite ptolémaïque (d’ailleurs, la semaine dernière, les égyptologues ont découvert un sarcophage à Alexandrie ; certains spéculaient qu’il contenait la dépouille d’Alexandre le Grand ou celle de Ptolémée, une hypothèse rapidement invalidée.)
Pendant toute l’époque ptolémaïque, le grec devient la langue officielle ; les hiéroglyphes demeurant réservés au seul culte religieux. Le personnage politique le plus célèbre de la dynastie des Ptolémaïques n’est autre que Cléopâtre (septième du nom), amante de Jules César et de Marc-Antoine (de son nom complet Cléopatre VII Théa Philopator, nom signifiant « la déesse qui aime son père » en grec et qui atteste bien de l’héritage hellénique). La pierre de Rosette date de l’époque ptolémaïque, ce qui explique la traduction en grec sur la pierre.
IV) Le texte de la pierre de Rosette
La pierre de Rosette est très célèbre ; le texte qui l’accompagne, beaucoup moins. Il s’agit en réalité d’un texte plutôt banal, qui détaille un décret du pharaon Ptolémée V (-204 -181). Plus précisément, ce décret, datant de mars 196 avant notre ère, supprime un impôt alors en vigueur et ordonne la construction de nouvelles statues dans plusieurs temples. Il faudra pas moins de vingt ans d’étude opiniâtres, de veilles tardives et l’expertise de plusieurs linguistes chevronnés pour traduire ce simple texte.
Cependant, lorsque la stèle fut découverte en 1799, personne n’avait encore réussi à percer le mystère des hiéroglyphes. Ce document précieux, le premier de son espèce présentant un texte bilingue grec et égyptien ancien, constituait une clé inespérée pour déchiffrer la grammaire égyptienne. Cette découverte attira l’attention du grand public et des savants de toute l’Europe, conscients de la valeur inestimable que la pierre représentait pour l’archéologie. Il n’est donc pas surprenant qu’elle ait fait l’objet de convoitises et de rivalités nationales, a fortiori en temps de guerre.
V) La dispute
En 1801, après une série d’affrontements, une offensive anglo-ottomane met les troupes napoléoniennes en déroute. Le traité d’Alexandrie, signé en 1801 et actant la défaite française, inclut un article stipulant que toutes les découvertes archéologiques faites par les Français pendant les trois années de leur présence en Égypte sont considérées comme butin de guerre.
Conscient de la valeur de l’objet et estimant que la pierre lui appartient, le général Menou, successeur de Kléber à la tête de l’armée française, s’empare de la pierre et la cache. Deux histoires expliquant le transport de la pierre jusqu’à Londres sont parvenues jusqu’à nous. La première voudrait que la pierre ait été dérobée par un colonel britannique qui l’extrada en la cachant dans une caravane d’armes ; la seconde veut que l’égyptologue britannique Edward Clarke soit entré en possession de la pierre après des négociations secrètes avec des acolytes français. Quoiqu’il en soit, la pierre de Rosette est rapidement acheminée à Londres, le roi britannique George III ordonne qu’elle soit exposée au British Museum. Elle demeure jusqu’à ce jour son objet le plus populaire et sans doute l’un de ses plus précieux.
VI) Comment Champollion a-t-il donc déchiffré les hiéroglyphes, puisque la pierre de rosette était désormais en possession des Anglais ?
L’expédition scientifique pilotée par Bonaparte avait pour but d’établir un fond d’archive très exhaustif sur l’Égypte. Les ingénieurs, naturalistes et dessinateurs participant à l’expédition étaient chargés de dresser l’inventaire de toutes les « découvertes » faites sur le terrain, de les répertorier, de les décrire, de les dessiner et d’en réaliser des moulages. Au retour de l’expédition, toutes ces données furent compilées dans un ouvrage intitulé Description de l’Égypte. Ces dix volumes de texte et treize volumes de planches regroupent trois histoires : celle de l’Égypte antique ; celle de l’Égypte moderne et enfin l’histoire naturelle du pays. Cet ouvrage fut publié sous la supervision du ministre de l’intérieur de l’époque, Jean-Antoine Chaptal.
Ainsi, c’est grâce à la copie de la pierre de Rosette réalisée par les savants français que Champollion parvient à déchiffrer les hiéroglyphes, en s’appuyant notamment sur les recherches de l’égyptologue britannique Thomas Young et en les complétant.
VII) L’archéologie : vecteur du colonialisme
De manière plus large, l’histoire de la pierre de Rosette révèle les liens étroits qui existent entre archéologie et colonialisme. En effet, les expéditions scientifiques du type de celle conduite en Égypte par Bonaparte, n’étaient pas seulement une incarnation de « l’esprit des Lumières », de la raison et de la science que nombre de savants entendaient diffuser au XVIIIe siècle. En effet, ces expéditions faisaient partie intégrante d’un processus de colonisation et d’appropriation culturelle, où la science et le catalogage exhaustif servaient de levier essentiel au contrôle des populations et à l’exercice du pouvoir. C’est ce constat qui nourrit les débats contemporains portant sur la restitution des objets culturels à leur pays d’origine.
En 2002, Zahi Hawass, égyptologue et alors secrétaire général des antiquités égyptiennes, demande pour la première fois que la pierre de Rosette soit restituée à l’Égypte. Depuis, il a fait de cette cause son cheval de bataille — tout comme la restitution d’autres objets de grande valeur historique comme le buste de Néfertiti, conservé au Neues Museum de Berlin. Trois ans après la demande initiale de Hawass, les historiens et archivistes britanniques fournissent la preuve que la pierre de Rosette est leur possession légale. Ils expliquent aux autorités égyptiennes que le traité d’Alexandrie (1801) a été co-signé par les Britanniques, les Ottomans et par les Français. Par ce traité, le gouvernement officiel de l’Égypte à l’époque (ottoman et mamelouk) avait donc donné son accord pour que les découvertes archéologiques françaises deviennent possessions de la couronne britannique. L’Égypte a accepté cette position.
Pour sa part, Hawass poursuit son combat, entraîne de nombreux pays dans son sillage (Grèce, Turquie, Guatemala, Syrie…) et remporte certaines victoires. Par exemple, en 2010, à l’issue d’une campagne lancée à son initiative, le musée du Louvre restitue à l’Égypte cinq fresques murales provenant du tombeau d’un dignitaire de la vallée des rois.
Ces dossiers sont loin d’être clos au demeurant. En 2015, les artistes allemands Nora Al-Badri et Jan Nikolai Nelles sont photographiés au musée du Caire aux côtés d’un buste baptisé « l’autre Nefertiti », visant à dénoncer la présence de ce trésor archéologique en Allemagne. Cette œuvre politique, réalisée après avoir clandestinement scanné le buste original à Berlin et avoir créé une copie grâce à une imprimante 3D, est un nouvel épisode dans un débat vieux de plus d’un siècle sur la restitution du buste de la reine égyptienne à son pays d’origine.
La restitution des objets historiques, la légalité ou l’illégalité de leur présence sur un sol étranger sont des questions éminemment complexes. Les musées ont, à tout le moins, le devoir d’être les plus transparents possibles sur la provenance des objets qu’ils exposent, ainsi que sur les conditions d’acheminements de ces derniers.
Dans la Dernière Croisade, dernier volet de la trilogie des aventures du célèbre archéologue Indiana Jones, ce dernier s’écrie au sujet de la croix de Coronado, « Sa place est dans un musée ! » Oui, mais lequel ? Question à méditer la prochaine fois que vos pas vous conduiront dans les plus grands musées du monde, ou lorsque vous passerez devant l’obélisque de la place de la Concorde, à Paris.
Auteur: Elisabeth Fauquert, Professeur à l’université Paris I Panthéon Sorbonne
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